La conservation du Faucon pèlerin dans le département du Tarn : une œuvre collective.

A la fin de la dernière guerre, le statut des rapaces était relativement satisfaisant en France continentale. 20 ans plus tard, la situation était désastreuse à ce point qu’une Conférence européenne sous l’égide de l’ICPB (International Council for Bird Preservation) fut tenue à Caen, les 10-12/04/1964, regroupant 11 pays. Les experts représentant les instances scientifiques, cynégétiques et colombophiles s’accordèrent sur la nécessité d’une évolution législative au bénéfice des rapaces et de mettre un terme aux divers modes de destructions directes dont l’ampleur était incompatible avec la conservation des espèces.

Faucon pèlerin © Jean Claude Capel

Par ailleurs, l’attention de la communauté scientifique fut attirée sur l’effondrement mondial des populations du Faucon pèlerin. Une Conférence Internationale fut organisée à l’Université du Wisconsin du 29-08 au 01-09/1965. Les ornithologues vinrent y exposer l’état de leurs connaissances sur ce faucon ; notamment J.F. Terrasse y présenta la situation française peu reluisante. L’importance de la contamination par les pesticides du groupe des organochlorés (D.D.T., H.C.H., Heptachlore, Aldrine, Dieldrine) utilisés en agriculture y fut démontrée, accréditant la raréfaction du faucon dans les régions où l’utilisation des pesticides était importante dans les agrosystèmes.

En 1969, Jean-François et Michel Terrasse créèrent le Fonds d’intervention pour les rapaces (FIR), devenu la mission rapaces au sein de la LPO le 31 mai 1998, afin de pouvoir mettre en œuvre concrètement la protection des rapaces instituée par la loi du 10 juillet 1976 (arrêté d’application du 17 avril 1981) relative à la protection de la nature.

C’est dans ce contexte que j’ai fait ma première observation d’un couple adulte du Faucon pèlerin au Roc d’Anglars le 05/08/1969 dans le cadre du réseau animé par J.F. Terrasse (population estimée à 2 couples pour notre département) et découvert le premier couple tarnais le 03/05/1973 dans la vallée du Tarn. Le repérage des sites rupestres du département et leur contrôle régulier m’ont permis de découvrir de nouveaux couples dans des sites qui ne correspondaient pas toujours à ceux qui étaient décrits dans les ouvrages de référence. Petit à petit, le cercle des passionnés actifs s’est développé dans le Tarn (notamment avec C. et T. Maurel) et dans le Tarn-et-Garonne (C. Goujon et J.C. Capel). Dans le sud-ouest de l’Aveyron, où j’avais trouvé un premier couple le 05/05/1976, le hasard m’a fait entrer en contact avec J. Deleris, un naturaliste passionné qui suivait ce même couple depuis plusieurs années, et qui avait suscité des vocations, notamment celle de J.C. Issaly, devenu le pilier du suivi du pèlerin dans le sud du Massif Central.

Faucon pèlerin © Christian Aussaguel

Ce suivi intime de chacun des couples permit au groupe d’identifier un certain nombre de facteurs limitants. La prédation par la Genette a été neutralisée par la pose de boules de naphtaline (autorisée à cette époque). Celle par le Grand-duc, dont j’avais trouvé la première nichée le 07/05/1975, n’a pu qu’être constatée. La création ou l’amélioration de sites de nid, sous l’impulsion notamment de J.C. Issaly, permit à plusieurs couples de pouvoir nicher avec succès dans certains rochers. Plus récemment (années 2000), la fréquentation par des grimpeurs a été l’objet d’accords à l’initiative de la LPO Tarn, notamment dans les gorges de l’Aveyron ou en vallée du Dadou.

En revanche, les destructions directes et surtout le prélèvement illégal par quelques fauconniers a perturbé le fonctionnement de la population relictuelle. Ils ont été très difficiles à maîtriser car, légalement, il fallait prendre le délinquant sur le fait et le contrôle génétique des reproductions en captivité (déclarées comme telles) n’était pas possible dans ces années-là. Par ailleurs, le principal auteur des désairages n’a pas été découragé par sa verbalisation par l’ONC¹ dans l’Ariège et dans la Haute-Garonne lors de captures d’oiseaux volants, les procédures n’ayant pas abouti.

Grâce à l’appui du Fonds d’intervention pour les rapaces, la surveillance des nids a pu être mise en œuvre de 1978 à 1984. J’ai ainsi accueilli des volontaires bénévoles, jeunes et moins jeunes, de France et d’ailleurs, qui se sont relayés au chevet de quelques-uns des derniers couples, nuit et jour, avec localement le soutien des habitants. A partir de 1981, B. Tauran assura l’accueil, ce qui me permit également de mettre en place la surveillance de nids de l’Aigle de Bonelli dans l’Hérault, qui échouaient curieusement durant les vacances de Pâques. Parmi les surveillants, certains étaient des ornithologues confirmés comme P. Cramm, F. Desbordes, C. et T. Maurel, C. Riols, …, tandis que d’autres ont découvert à cette occasion les plaisirs de l’observation naturaliste. Dès leur départ pour leurs campagnes de désairage en France, les plaques d’immatriculation des véhicules de trafiquants allemands connus étaient communiquées aux surveillants et aux gendarmeries concernées et dans lesquelles était exposée une affichette informative sur le Faucon pèlerin.

Le désairage d’un site n’a pu être empêché ni sanctionné dans la vallée du Tarn malgré une plainte déposée à la gendarmerie de Valdériès le 17/05/1978 car le véhicule repéré par les surveillants et les habitants du village appartenait à une des relations du fauconnier. Mais à la demande des habitants, qui avaient pris fait et cause pour « leurs » faucons, le député André Billoux posa une question écrite au ministre en charge de l’environnement lors de la séance du 16/06/1978. Ce fut semble-t-il la première fois que le sujet était abordé dans l’hémicycle.

Le fauconnier exposa cette même année une collection de rapaces dans le local d’une mairie, dont plusieurs jeunes faucons pèlerins et un jeune aigle de Bonelli. En qualité de Conseiller biologiste bénévole auprès des Préfets de Midi-Pyrénées, j’ai exposé par écrit les infractions à la gendarmerie. En retour, le fauconnier déposa une plainte contre moi (22/08/1978), laquelle n’était pas fondée.

Dans le même temps, certains taxidermistes et zoos furent informés de la réglementation. Des opérations de sensibilisation du grand public furent développées (présentation de rapaces à Mazamet, articles de presse, publications scientifiques, actions diverses du GOT-Groupe Ornithologique Tarnais puis de la LPO 81) et Allain Bougrain-Dubourg m’associa à l’émission télévisée « Des animaux et des hommes » qu’il consacra au faucon pèlerin, en direct depuis Cordes-sur-Ciel le 6/07/1980.

Faucons pèlerins de Carmaux © Martine Abuta’a

Tous ces efforts finirent par payer et l’effectif du Faucon pèlerin augmenta au-delà de nos espérances. Il est en effet passé de 5 couples en 1974 à 24-25 couples en 2023. L’espèce niche même aujourd’hui au plus près des humains à Albi depuis 1989 et à Carmaux depuis 2022, dans des nichoirs fabriqués (respectivement par J.P. Galinié et J.P Courceulles) et installés à son intention par la LPO Tarn suite au signalement par des bénévoles d’oiseaux fréquentant ces sites.

L’observation rapprochée des oiseaux de la cathédrale d’Albi est permis depuis 2008, grâce au suivi vidéo mis en place à l’initiative de la LPO Tarn en collaboration avec la mairie d’Albi. Le public peut ainsi découvrir via internet la vie de famille du couple de faucons urbains dans des conditions intimistes exceptionnelles rarement réunies en nature.

Cet investissement remarquable des ornithologues de la LPO Tarn et de la communauté ornithologique est aujourd’hui une référence. Il a motivé le choix de la ville d’Albi pour la tenue du 1er Colloque national sur le Faucon pèlerin en 2010². Le faucon est même devenu la mascotte d’une brochure du Tarn Libre destinée à guider les touristes dans le département du Tarn en 2023 ! Qui aurait pu imaginer une telle évolution !

Ce succès ne doit pas nous faire baisser la garde. Si les agents de l’OFB³ veillent, il est important que les naturalistes poursuivent les suivis scientifiques coordonnés par A. Calvet (Tarn), J.C. Capel (Tarn-et-Garonne) et J.C. Issaly (Aveyron et synthèse globale), notamment parce que ce rapace rupestre est lié à un habitat peu fréquent et vulnérable dans notre département. Également parce que l’effondrement des populations d’oiseaux pourrait le toucher. Enfin, indicateur bénévole de la santé de notre environnement, espérons que ce lanceur d’alerte ne nous alarmera pas pour de nouvelles pollutions chimiques, à l’instar du message que sa disparition avait signifié avec les pesticides du groupe des organochlorés … il y a près de 60 ans !

Jean-Marc CUGNASSE, bénévole

¹Office National de la Chasse
²Exemplaires des actes du colloque disponibles auprès de la LPO du Tarn ici
³Office Français de la Biodiversité

Pour aller plus loin : Le premier polar naturaliste du Queyras, “Le vol du faucon” de Nicolas Crunchant par les Editions du Queyras