L’influence des nuits de pleine lune sur l’effraie des clochers.

Un léger froissement de feuilles, le déplacement furtif d’un rongeur dans l’obscurité, un battement d’ailes presque inaudible, puis le silence. Entre mythe et réalité, la chouette effraie ne cesse de fasciner l’homme autant qu’elle le terrifie. Pendant des siècles, son cri déchirant et son incroyable capacité à naviguer parmi les ombres étaient signes d’un mauvais présage pour les uns, un symbole de la connaissance occulte pour les autres. Ses remarquables aptitudes de chasseuse silencieuse en font aujourd’hui un véritable modèle d’adaptation à la vie nocturne.

©Christian Aussaguel

Difficiles à observer pendant la journée de par leur discrétion et leur mode de vie, les rapaces nocturnes ont longtemps servi d’exemples pour mettre en avant l’importance du camouflage diurne dans la survie. Néanmoins, le plumage parfois immaculé de l’Effraie des clochers vient apporter une vision nouvelle, laissant alors entrevoir une adaptation singulière jusqu’à présent insoupçonnée. En combinant 20 années de suivi d’une population reproductrice en Suisse avec des simulations en laboratoire, des chercheurs ont tenté de comprendre le potentiel rôle d’un plumage ventral blanc lors de la chasse. En jouant sur les différentes conditions de luminosité provenant de la lune, les variations de coloration chez les chouettes et le comportement de campagnols communs, les scientifiques ont découvert que le succès de chasse des individus les plus roux diminuaient les nuits de pleine lune, contrairement aux individus à plumage blanc. A fortiori, la masse corporelle des jeunes issus de parents roux était plus faible lors des nuits de pleine lune, agissant alors sur leur survie. Tandis que les adultes à plumage roux seraient plus facilement détectés par les rongeurs les nuits de fort éclairage, il semblerait que les individus à plumage blanc soient avantagés. En effet, un plumage ventral immaculé entraînerait un réflexe de paralysie plus intense chez les proies, dont le stimulus d’aversion pour la lumière serait accentué par la réflexion de la lune sur le plumage. En exploitant le clair de lune et les biais sensoriels de leurs proies, les rapaces blancs atteindraient alors des taux de capture de 100%. Les chercheurs se sont également aperçus que les chouettes adaptaient leur phénologie au cycle lunaire. A ce titre, la ponte du 1er œuf une nuit de nouvelle lune chez les individus les plus roux permettrait aux oisillons d’atteindre leur période de croissance maximale les nuits où le clair de lune est faible. Leur taux de nourrissage par les mâles roux adultes serait alors plus élevé.

Les contraintes liées au plumage se révélant plus importantes chez les individus roux que chez les individus de couleur blanche, l’hypothèse d’une diminution progressive de ce phénotype dans la population serait envisageable. Néanmoins, la coloration blanche peut entraîner des coûts non négligeables durant la journée en révélant la présence des individus aux prédateurs ou compétiteurs harcelants tels que les corneilles. En raison d’une faible teneur en mélanine, les plumes se révèlent également plus sensibles à l’abrasion et aux variations météorologiques. Il est donc plus probable de rencontrer la couleur blanche chez les mâles, qui fournissent un effort de chasse plus important, et un plumage roux plus discret la journée chez les femelles.

Références : San-Jose, L.M., Séchaud, R., Schalcher, K. et al., 2019. Differential fitness effects of moonlight on plumage colour morphs in barn owls, Nature, Ecology & Evolution, 3 : 1331–1340.

Elodie Massol