Au sein des écosystèmes terrestres réside un équilibre complexe entre les proies, leurs prédateurs et l’habitat dans lequel ils évoluent. Ces interconnexions sont à la base du fonctionnement des réseaux trophiques et jouent un rôle essentiel dans l’évolution des populations animales. Malheureusement, ces liens rendent également les espèces plus sensibles aux impacts en cascade engendrés par les activités humaines. A ce titre, les carnivores situés au sommet de la chaîne alimentaire subissent de plein fouet les dommages causés sur les espèces de plus bas rangs trophiques. Tandis que l’intoxication massive des Milans royaux par les rodenticides dans les années 90 reste aujourd’hui l’un des empoisonnements indirects le plus tristement célèbre du territoire, de nombreuses conséquences des activités humaines sur les rapaces demeurent méconnues.
La chaîne des Pyrénées, dont les nombreux cols sont le siège d’importants passages migratoires, a ainsi servi de lieu d’enquête pour l’analyse des causes de mortalité de 4 espèces de rapaces. La LPO, assistée par un important réseau de bénévoles, d’institutions publiques, d’associations locales et d’un laboratoire de toxicologie, a donc procédé au suivi de ces espèces sur 7 ans. Chaque cadavre d’oiseau a ainsi pu être
soumis à autopsie sous le contrôle du SAGIR, le réseau de surveillance des maladies infectieuses des oiseaux et mammifères sauvages.
Sur les 170 oiseaux découverts morts, 60% étaient localisés dans les Pyrénées-Atlantiques, département dans lequel niche l’une des plus grandes populations de Vautours fauves. Les résultats de l’étude ont
également indiqué que les chutes et collisions avec des lignes électriques représentaient 12.3% des causes de décès, contre 11.6% pour les maladies, 11.2% pour les tirs ou mutilations et 7% pour l’électrocution.
Néanmoins, c’est l’empoisonnement qui se révéla être la principale cause de mortalité chez les rapaces
(25%). L’autopsie des cadavres a également permis de mettre en évidence l’élément à l’origine de la
majorité des empoisonnements : le plomb. Ce métal, hautement toxique pour l’organisme, fait des ravages au cours des hautes périodes de chasse. Les Pyrénées occidentales, première zone de France par son nombre de chasseurs, atteint des scores de 168 000 pigeons tués pour 1 552 000 de tirs estimés. La consommation de proies victimes des balles de plomb entraînerait alors une bioaccumulation du métal dans les tissus. La physiologie du Gypaète barbu, qui lui permet la digestion facilitée des os, amplifierait l’absorption du plomb et l’augmentation de sa concentration dans l’organisme. De plus, les résultats ont suggéré une corrélation entre la contamination au plomb des rapaces et la proportion de collisions ou
d’électrocutions. En effet, il semblerait que la neurotoxicité du plomb induise la réduction des capacités
d’évitement et d’appréhension des obstacles chez les oiseaux, démontrant une nouvelle fois l’impact
majeur des projectiles de chasse en plomb sur les probabilités de survie à long terme des rapaces
pyrénéens.
Références : Berny, P., Vilagines, L., Cugnasse, J.M., Mastain, O., Chollet, J.Y., Joncour, G. & Razin, M., 2015. Vigilance poison : Illegal poisoning and lead intoxication are the main factors affecting avian scavenger survival in the Pyrenees (France), Ecotoxicology and
environmental safety,118 : 71-82.
Elodie Massol